J’ai le saint esprit •  Vous pensez me connaître ? Parce que mes amis ont écrit sur moi, ou parce que je suis le fils de Dieu, et que Dieu et bon ? Donnez-moi toutes les qualités. Dites que je suis grand, brun, que je suis sage et omniscient. Dites que j’accorde la miséricorde à chacun, et que chacun a le devoir de me remercier pour ça. Dites que jamais je n’ai été injuste, jamais je n’ai pêché, que j’ai été le meilleur de tous les hommes.
Mais arrêtez-moi si j’ai tort : être un homme, n’est-ce pas être exposé aux pêchés ? Comment peut-on prétendre que le meilleur des hommes n’a jamais fait une seule connerie dans sa vie ? Qu’il uniquement parce qu’il est fils de Dieu ? Mon Père m’a créé mortel, et m’a créé homme, alors bien évidemment, j’ai été exposé aux vices. J’en ai commis. J’en commets toujours. Je suis faillible. Pourquoi m’idéalisez-vous ?
Le seul pouvoir que je puisse avoir, c’est la terrible capacité de savoir rassembler les gens autour de moi. C’est presque une malédiction. Même à travers des simples écrits je réunis des millions de fidèles. Ou alors ce sont les millions de fidèles qui m’ont réuni. Je ne sais pas. Qui vient en premier, la poule ou l’œuf ?
Il est temps de mettre les choses au clair : je n’ai pas les qualités qu’on me prête. Ces qualités c’est celles de mon père. C’est lui le miséricordieux, lui le bon, lui qui m’a poussé à me sacrifier. Moi je ne suis qu’un pauvre pantin entre ses doigts. Enfin je n’étais.
Voilà aussi ce que je suis : je ne suis pas franc. J’ai joué la comédie pendant toutes ces années, me prétendant sauveur, ne donnant que comme chose vraie ma Foi. Comment ne pas être habité par la Foi quand Dieu nous parle ? Encore un mérite qu’on ne peut pas m’accorder.
Ma seule qualité peut-être est celle d’être une personne pleine d’amour. J’aime énormément les gens, presque trop. Je ne veux que leur bien. Voilà pourquoi j’ai obéi aveuglément à mon Père. Parce que je pensais que c’était le bon chemin.
Et maintenant ? Quelles qualités peut¬-on me prêter maintenant que Dieu n’est plus avec moi,  me dites-vous ? J’aurais tendance à vous dire rien, mais dans ce cas-là vous me répondrez que je suis modeste. Pourtant je ne le suis pas. Je me connais par cœur ; déjà cinquante ans que je ne suis plus qu’un homme parmi les hommes.
Commençons donc par des choses terre à terre : j’ai une belle voix, et un vrai don pour la musique. C’est peut-être une des seules choses que j’aime dans ce bas monde, la musique. Pas étonnant que j’ai formé mon propre groupe. Pour tout vous dire, ça m’exaspère un peu d’avoir tant de fans. J’ai l’impression d’être revenu à mon ancienne vie.
Parfois, je m’installe dans ma chambre, et je prie. C’est anodin, me direz-vous. Je suis le fils de Dieu après tout. Qui s’attendrait à voir le fils de Dieu ne pas se consacrer à la religion ? Et pourtant c’est ce que je fais. Depuis que je suis arrivé à Pandore, je refuse de toucher à la religion. Je ne suis jamais entré dans une église, je n’ai jamais prononcé un seul prêche, ni une seule parole au nom de mon Père. Pourquoi ? Ce n’est ni par déception, ni par désintérêt. Je suis toujours croyant. Comment ne pourrais-je l’être, puisque mon père est Dieu ? Mais simplement j’ai perdu mon lien avec lui. Je sais que son emprise sur ce monde est inefficace. Certains peuvent penser que c’est quelque chose d’impossible, mais pourtant je le crois.
Ici Dieu n’a pas de pouvoir, et son fils non plus. Ça me ronge. Dur de trouver une raison pour vivre quand celle qui nous faisait se tenir debout a disparu.
Alors j’essaye de répandre le bien, de respecter les principes divins. Ne pas pêcher ; et c’est dur. Ma célébrité m’indiffère, mon argent va aux pauvres. J’essaye d’être toujours souriant. Toujours. Les gens ont déjà bien assez de soucis comme ça, ne manquerait plus que le Fils de Dieu soit malheureux.
Je fuis les péchés capitaux, mais je sais que parfois je les frôle du doigt, et ça me fait peur ; je n’ai plus personne pour me guider. L’avarice ? Je donne presque tout mon argent aux démunis. La colère ? Je suis la personne la plus aimable qui soit. L’envie ? Pourquoi serais-je envieux ? Ma vie n’est pas parfaite mais je devrai me contenter de ce que j’ai. La gourmandise ? Je n’aime pas manger, je suis très mince, ce qui m’aide beaucoup sur scène. L’orgueil ? Je n’en ai pas. Je ne me considère pas comme valeureux. La paresse ? Je travaille énormément, quoi qu’on en dise. Je ne roule pas sur l’or pour rien. La luxure ? Certes, j’ai découvert le plaisir à Pandore, mais je ne fais pas dans l’excès. Et d’ailleurs j’ai du mal à comprendre ceux qui passent leur vie à l’Apothéose.
Pourtant je ne suis pas parfait. Je suis juste médiocre ; et on m’idéalise. Je voudrais tant faire l’éloge de la médiocrité.
Nombre de gens sont mieux que moi, et je ne mérite pas cette place dans toutes ces églises. Je ne suis qu’un homme banal, qui aime ce qu’il fait. Et qui s’exprime.


Mens sana in corpore sano •  Autrefois, j’avais le teint hâlé des habitants de Judée. Moi, le petit enfant devenu grand, je n’étais pas l’homme blanc que vous peignez dans vos églises. J’étais assez grand, imposant peut-être. J’avais un regard franc et des yeux bleus, un sourire qui montre comme j’aime les gens.
Maintenant j’ai changé, de tous points. Ce n’est pas si mal ; cela m’a fait bizarre dans les premiers temps, mais on s’y habitue. Des cheveux noirs et un corps fin, petit, qu’on aurait peut-être peur de briser. Des yeux légèrement bridés, aux iris d’une couleur très surprenante, d’un rose clair qui fait pétiller mon regard. J’ai une carrure mince, et la première fois que je me suis regardé dans une glace, j’ai sérieusement cru que j’étais devenu une fille. Ma peau claire aussi m’a été inhabituelle. Que c’est étrange d’avoir l’impression d’être une autre personne. J’ai essayé de m’y faire, comme on dit. De parcourir ce nouveau corps, de l’utiliser à bon escient. Et puis quand j’ai vu que j’attirais les gens ainsi, j’ai [UC]